PROUST LU, 105 HEURES 52 MIN

Le Musée d'art moderne de la Ville de Paris invite PROUST LU en deux temps :

- Lors de la NUIT BLANCHE 2012 (6 octobre 2012). Présentation des onze dernières heures filmées de Proust Lu (Sodome & Gomorrhe) sur le parvis du Musée d'art moderne.

- Du 9 au 24 octobre 2012, Au MUSÉE D'ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, Collections permanentes. Projection intégrale (105 heures 52 min).

Un dispositif nomade de projection est créé spécialement pour ces deux présentations par l'architecte Martial Marquet.

Commissaire des expositions : Jessica Castex

 

NB 1 

Article publié dans Libération jeudi 11 octobre 2012

Retour des revenants par EDOUARD LAUNET

Sauf état d’extrême ébriété ou vacances écossaises, il est rare de voir des fantômes. Il est plus exceptionnel encore de voir des fantômes incarnant d’autres fantômes. Des fantômes au carré en quelque sorte. Par exemple feue votre arrière-grand-mère surgissant d’un placard vêtue des frusques de sa propre arrière-grand-mère. C’est à une apparition de ce genre que nous convie, pour quelques jours, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Il n’est pas nécessaire de croire au paranormal pour venir constater la chose, ni d’aimer l’art contemporain pour l’apprécier. D’abord ce rappel. Depuis le mois d’octobre 1993, des centaines de personnes se sont relayées, et continuent de le faire, devant la caméra de Véronique Aubouy pour lire chacune deux ou trois pages d’A la recherche du temps perdu. Le film qui en résulte, constant work in progress, s’appelle Proust lu. Il est projeté ici et là en diverses occasions. Nul n’est censé visionner ces cent six heures de vidéo en intégralité : c’est une installation dans laquelle chacun picore ce qu’il souhaite en méditant sur le temps qui passe.

C’est ainsi qu’à intervalles plus ou moins réguliers ressurgissent, à travers les mots des lecteurs, Odette de Crécy, Swann, la marquise de Cambremer et le reste de la petite troupe proustienne. Ces résurrections épisodiques font penser à l’Invention de Morel, ce roman d’Adolfo Bioy Casares dans lequel une machine mue par l’énergie des marées anime les hologrammes (ou équivalents) d’un groupe de personnes disparues, leur faisant « revivre » indéfiniment une semaine de vacances. Le narrateur s’éprend d’une des femmes du groupe, avant de se rendre compte qu’elle n’est qu’une illusion qui revient encore et encore. Proust lu fonctionne d’une façon similaire, à ceci près que l’énergie des marées est ici remplacée par la fission des atomes d’uranium 235, puisque 80% de l’électricité française est d’origine nucléaire : on peut contester ce mix énergétique, mais ce n’est pas le lieu pour. Il y a plus troublant : certains des lecteurs anonymes ou célèbres qui se succèdent à l’écran dans l’installation de Véronique Aubouy se trouvent être décédés. Ainsi l’actrice Annie Girardot, le cinéaste Laurent Perrin, l’écrivain Edouard Levé, et plusieurs autres sans doute. Ce sont leurs fantômes qui viennent désormais réveiller les fantômes proustiens. Et ceci durera tant qu’il y aura de l’uranium fissile, ou des éoliennes. Ces conditions étant actuellement réunies, Proust lu est projeté jusqu’au 24 octobre au sein des collections permanentes du musée parisien, aux heures d’ouverture.

A terme, tous les lecteurs seront morts, et Véronique Aubouy aussi. On exhumera son film de temps à autre en faisant peut-être de doctes commentaires sur cette mise en abyme des spectres, qui n’était certes pas l’intention première de l’artiste. La spirale du temps emporte dans un même mouvement la duchesse de Guermantes et Edouard Levé, le baron de Charlus et Laurent Perrin, Jupien et Annie Girardot. On ne sait comment dans ce tourbillonnant cortège se distribueront les postérités. On sera mort aussi.

https://youtu.be/vm_cQNCyYa4